CHRYSALIDE OU L'ENVOL D'UNE FLEUR BLEUE

Chapitres 1 et 2

Chapitre I

La Muzardière

- Rude journée ! 

Hélène, en soufflant, termine de ramasser les bûches. Dès le matin, après avoir déposé les enfants à l’école du bourg, elle a coupé le bois pour la semaine. Le froid avec son cortège d’humidité ambiante oblige en cette saison à chauffer par toutes les cheminées. Cognée, scies, hachette, toutes sont nécessaires à la tâche. Les branchages s’entassent en quantité dans le parc ainsi que de multiples troncs, encore faut-il les préparer à l’usage des cheminées et du poêle !

Tout en se dirigeant vers la maison, elle se dit :

- C’est une chance tout de même ! Le bois ne manquera pas cette année ! 

Alors qu’Hélène traverse la grande cuisine, pliant sous le fardeau de bûches, son regard capte le monceau de repassage en retard. Il est temps maintenant ranimer les feux, ceux du salon, des chambres, celui de la cheminée de la grande salle et aussi, celui de la cuisinière.

- Pour le repassage, ce sera pour plus tard, cet après midi peut-être, pense t-elle en montant l’escalier qui mène aux chambres et au salon.

La maison est grande. Une ancienne maison de maître, située au bord du fleuve, perdu en pleine cambrousse et entouré d’un bon vieux parc clairsemé d’ormes, de frênes et d’hêtres centenaires. Outre les dépendances, cellier, bûcher et ancienne écurie, la Muzardière comporte trois entrées, l’une, double portes vitrées donnant directement dans la grande salle qui sert de cuisine ; La seconde, en chêne massif, par un large vestibule mitoyen à la cuisine, amène à la cave et au grand escalier qui dessert le salon et les chambres au premier. La dernière, c’est la porte principale, faîte de chêne ouvragé et d’une grille en fer forgé couvrant les vitrages, elle débouche sur un large corridor au vaste escalier menant à l’ancienne salle de réception située au premier étage ; A droite, face à la chambre des enfants, accessible par la porte à gauche, il conduit aussi au second étage. Ce deuxième niveau est immense, il respire l’inhabité. Après un petit vestibule donnant sur une première chambrette, le couloir interminable permet l’accès aux différentes chambres inoccupées, exception faite de la dernière au fond à droite, face à la nouvelle salle de bain, aménagée pour l’hospitalité à quelques invités, amis ou parents de passage.

Habituellement, l’endroit est emprunt d’un charme désuet, or, par ces journées d’hiver, le lugubre l’emporte sur la magie qu’il offre aux beaux jours.

Les feux sont enfin allumés, grâce aux allers et retours incessants d’Hélène. Passant d’une pièce à l’autre, montant et descendant sans casser son rythme, elle va de l’un à l’autre, alimente les âtres, rectifie la position des bûches, vérifie qu’il n’en vient pas une à rouler sur les tapis bien proches. Les pièces, hormis celles du rez-de-chaussée, sont faites de parquets de chêne cirés recouverts en majeure partie par de grands tapis. La combustion du bois présente toujours un danger, malgré les pare-feux.

Deux heures viennent à sonner lorsque Hélène s’assied enfin au coin du foyer de la cuisine pour y dévorer une de ces tranches de jambon de pays qu’elle affectionne ; Elle les accompagne de bonnes tartines, bien larges à la mie souple et moelleuse, coupées dans la miche de pain de campagne. Après une séance de repassage, elle part chercher les enfants à l’école.

La nuit tombe vite sur le fleuve en janvier. Hélène se refuse à laisser Virginie et Antoine rentrer seuls comme ils aiment à le faire dès que le printemps revient et que les journées s’allongent.

Certains de ces jours, plus d’une heure après la fin des cours, ils ne sont toujours pas revenus. Aussi, fait-elle le chemin, allant à leur rencontre, craignant qu’ils ne s’oublient dans leurs jeux et ne rentrent qu’à la nuit tombée. Chaque fois, elle les retrouve, penchés au-dessus de quelques mares d’eau de pluie à titiller une araignée, ou encore, dans un taillis, fort occupés, à regarder quelque salamandre ou nid de chardonnerets.

Beaucoup de ses amis et voisins s’inquiètent ou se scandalisent de son attitude :
- Comment peux-tu laisser tes enfants revenir seuls de l’école, à travers champs en plus ? As-tu conscience du danger ! Non ! C’est de l’inconscience ! 

Pour elle, c’est bien au contraire une excellente école que celle de la nature. Il est vrai que cela a été la sienne pendant toute sa petite enfance. Elle en a ainsi conçu que l’enfant, dès son plus jeune âge découvre par lui-même le monde qui l’entoure et qu’il s’en trouve enrichi d’une réalité, autre, vivante et indépendante et de celle de ses parents et de l’Humain en général. Quel danger cela comporte-t-il vraiment ? Il y a moins de deux kilomètres à parcourir. Virginie va bientôt sur ses sept ans et son frère Antoine frise les quatre.

Bien sûr, chaque fois, ses détracteurs lui sortent les clichés basiques : le sadique qui pourrait traîner dans les bois, le chien féroce qui leur sauterait dessus ou pire encore, un des deux pourrait tomber à l’eau.
Invariablement, elle répond, à ce qu’elle considère être des niaiseries : Que les sadiques sont bien plus nombreux à traîner dans les villes et les parkings souterrains en béton que dans les bois et les champs ? Quant au chien errant et féroce, il serait éventuellement du domaine du possible, mais ne viendrait-il pas tout aussi bien, les mordre ici même dans le parc ou dans la prairie d’à côté, endroits constamment fréquentés par les enfants qui en ont fait leur aire de jeux favorite ? Pour ce qui est de l’eau du fleuve, Virginie et Antoine y sont confrontés depuis leur arrivée en ce lieu. Hélène les éduque sans cesse aux dangers inhérents à l’eau. C’est pourquoi, elle reste confiante et ne peut s’empêcher de fustiger intérieurement ces sur-inquiets, enfermés dans une logique sécuritaire au détriment de la liberté et de l’éducation :
~ Vraiment ! Que des poules mouillées, ces gens qui voient le danger à tout bout d’champ et surprotègent, pour ne pas dire « coucounent » leurs progénitures au point d’en faire à leur tour, des poules mouillées ! Avec une telle éducation, l’évolution de l’humain ne risque pas d’aller en s’améliorant, ni en vitesse, ni en audace ! Tempête-t-elle en silence.

Bien que très jeunes, ses enfants possèdent déjà une bonne conscience des dangers de la nature. Depuis deux ans, date de leur installation à la Muzardière, elle leur explique ce qu’il ne faut pas faire en bordure d’eau et quels en sont les risques. Elle remercie encore la vie de lui avoir donné deux enfants qui aiment à écouter, à entendre, à obéir et surtout, qui cherchent constamment à comprendre : De vrais petits curieux ! Rien que du bonheur !

De retour, après le goûter des enfants, il est temps pour elle de préparer le dîner, tout en aidant Virginie à sa lecture. Lorsque leur père rentrera vers huit heures, le repas sera servi comme à l’habitude dans la grande salle du rez-de-chaussée qui fait office de salle à manger et de cuisine, près de la cheminée où les flammes jouent à saute-mouton sur les bûches.

Mais que lui réserve son mari ce soir ? Nous sommes Vendredi et il rentre de Brest.

*

*        *

Il y a quatre ans, Marcel et Hélène ont monté leur entreprise de transport. A cette époque là, Marcel est chauffeur dans une entreprise de travaux publics. Chaque soir, il rentre, un peu plus remonté vis à vis de son boss comme il l’appelle, jusqu’au jour où elle le surprend partant avec un de ses fusils. Le soir, cherchant à comprendre la raison d’être de cette arme sur son lieu de travail, Marcel lui dévoile une situation alarmante au possible :

- Tu ne peux pas savoir à quel point ce type est une ordure. Tiens, cet après-midi, je reculais ma benne au bord de la fosse pour virer, c’était à deux doigts que je le pousse avec mon camion en accélérant ma marche arrière. Ni vu, ni connu, ce serait passé pour un accident et j’aurai été débarrassé de cet incapable. En plus, j’aurai fait une bonne action, car il emmerde tout le monde sur le chantier. En vidant ma benne dessus, j’aurai débarrassé l’entreprise et la terre entière d’une vermine ! 

Hélène réalise à ce moment là que Marcel est caractériel. Dans chaque nouvelle entreprise où il a été embauché, il ne s’est pas passé un an sans qu’il se soit querellé avec son patron ou un collègue. Aussi l’idée germe t-elle : Pourquoi ne pas se mettre à son compte ? Marcel, en ce cas, serait son propre patron et il ne pourrait plus avoir d’envies meurtrières vis à vis d’un quelconque supérieur. Marcel trouve l’idée bonne, mais refuse catégoriquement d’aller passer la capacité de transport nécessaire à l’ouverture d’une entreprise. C’est pourquoi, Hélène se retrouve à suivre cette formation et, par la suite, les Transports Guennoc, du nom de son époux voit le jour. Malheureusement, faute de fonds propres, ils ont été amenés à déposer le bilan, l’an passé. Depuis les derniers cinq mois, Marcel retravaille à nouveau dans la pose de chambres froides et de climatiseurs.

*

*         *

Toute la journée, de tumultueuses pensées l’ont préoccupée à son sujet. Hélène, depuis la mi-octobre, a pris la décision de le quitter. L’atmosphère est de plus en plus irrespirable et le danger de plus en plus éminent.  Sans cesse, cette scène du début janvier dernier lui revient en mémoire, celle où Antoine échappe de justesse à un traumatisme crânien fatal.

Pour une peccadille, son mari entre dans une colère énorme, une fureur incontrôlée. Au lieu de ne rien dire et de laisser passer l’orage, Hélène lui demande de se calmer. Bien sûr ! Elle aurait du se taire. Ses paroles ont pour effet d’exaspérer encore plus la rage de Marcel.

En hurlant, il jette dans sa direction tous les objets se trouvant à sa portée, à commencer par ses deux gros souliers de travail qu’il vient d’ôter. Antoine et Virginie dans la peur se réfugient dans sa jupe.  A cet instant, l’ensemble à fondue en fonte posée sur le réfrigérateur vient s’éclater sur le granit de la cheminée derrière elle, après être passé à quelques centimètres, pour ne pas dire millimètres de la tête d’Antoine qui se met à hurler à pleine voix. 
A ce souvenir, elle frissonne en pensant que ce soir là, Marcel aurait pu commettre l’irréparable.

*

*         *

Le moteur de la Fiat vient de s’éteindre. Marcel rentre de sa semaine de déplacement, les enfants vont lui ouvrir la porte.

~ Oui, il faut que j’organise notre départ, il faut le quitter, au moins pour les enfants ! C’est la seule solution possible, la moins mauvaise en tout cas » Pense Hélène alors qu’il entre.

-  Bonsoir les enfants ! Lance leur père, d’un ton léger et joyeux, le sourire plein les yeux.

- Bonsoir, Papa, répondent à l’unisson les deux mouflets, en l’embrassant.

Tandis qu’ils répondent à leur père, aux questions de routine sur leur journée, sur leur semaine, Hélène se plait à croire que tout ce proche passé n'est qu'un mauvais rêve, que Marcel est un homme charmant et qu’il est un bon père.  D’ailleurs, ses amis ne sont-ils pas unanimes à le considérer comme un super bon copain, un garçon gentil, drôle et serviable, bref, toutes les qualités !
La table mise, la petite famille assise, le début du dîner se déroule sans problème. Marcel est d’humeur égale, presque enjouée. Pendant quelques minutes, Hélène se reprend à vivre le bonheur d’une famille unie ; Elle se détend peu à peu en pensant que le cauchemar n’est pas pour ce soir. Machinalement, elle demande à Virginie de se tenir droite et de mettre ses mains sur la table. A la seconde fois, elle gronde :
- Combien de fois, faudra-t-il que je le répète ! Tout en pensant : 
~   Dire et redire et répéter toujours et sans cesse, tous les jours, les mêmes consignes. Avec les enfants, c’est toujours pareil ! Que c’est lassant… ! 
Ils reprennent leur conversation, que déjà, les mains de Virginie disparaissent de la table et ses épaules rondes, à nouveau, s’affaissent. De plus, sa fille la regarde, un zeste narquoise.
- Virginie, les mains sur la table, s’il te plaît, et tiens-toi droite ! Ordonne Hélène sèchement.
Virginie garde son sourire moqueur, jetant de rapides coups d’œil en coin en direction de son père avant de planter ses iris bleu teintés d’ironie dans ceux de sa mère. Recommençant son manège, sa fille rit sous cape, ce qui a le don de l’exaspérer. Oubliant la situation et son danger, elle hausse la voix, le ton cassant, s’exclame : 
- Virginie, c’est fini ! Tu manges correctement ou tu sors de table et tu vas te coucher !
Dès cet instant, tout se passe très vite comme à l’habitude, son père tonne :
- Mais tu ne peux pas lui foutre la paix à cette gamine ! 
Au lieu de se taire, la voilà qui rétorque :
- Enfin, il faut bien l’éduquer. Il faut qu’elle sache se tenir correctement ! Ce n’est pas une façon de se comporter à table !!!
Que n’a t-elle répondu, là ! C’est le déluge, les assiettes volent au-dessus d’eux, en direction de la porte-fenêtre de la cuisine.
Dans un fracas de verre, les vitres s’effondrent pendant qu’au sol, les assiettes se brisent. Marcel continue à l’invectiver de tous les noms, faisant valoir qu’après une semaine de travail, il a le droit de dîner en paix avec ses enfants.
Antoine hurle, Virginie pleure, elle défait leur serviette et pousse ses deux petits hors de la salle.
Le temps du répit est passé. Le repas est terminé. Ils mangeront mieux demain. Dans l’escalier, son fils dans ses bras, répète : 
- Maman, j’ai peur, j’ai peur ! Et sa fille en sanglots d’ajouter :
- Maman, on va partir, hein ! Papa est trop méchant. On va partir habiter sur une île !
- C’n’est rien, c’n’est rien ; Voilà c’est fini, c’est fini…Ne cesse t-elle d’ânonner en essuyant leurs joues rouge rosé bien potelées couvertes de larmes.
Bien piètre réponse face au drame vécu par ces petiots, d’autant que ce n’est pas la première fois qu’il en est ainsi.
Après une toilette succincte, elle les met au lit, continuant à les calmer et à leur parler tout en rangeant sommairement leur chambre, véritable terrain de jeux.
~ C’est abominable !  Pense t-elle. Ce genre de scène devient un véritable rituel, au fil des mois, leur fréquence se rapproche. D’une à deux dans l’année, c’est passé à une par mois, et maintenant quasiment c’est presque tous le temps.
Bien sûr, la répétition de ce phénomène la conforte dans sa décision de divorcer. Dépassée, sans solution face à ses débordements, elle a fait entendre à Marcel, la nuit du nouvel an, qu’elle voulait le quitter.
A ses yeux, rester vivre dans ces conditions est bien plus déstabilisant que partir. Ne pas réagir, c’est aliéner ses enfants définitivement. La solution s’impose, elle n’a que trop tardé à la prendre.

*

*        *

Il y a quelques années, bien avant la naissance d’Antoine, Virginie est encore au sein à cette époque là, la violence est intervenue dans le couple.
Comment cela a t-il démarré ?
Par le cran d’arrêt ! Sur la carotide ! 
Pourquoi ?
Sous le prétexte futile de son incompétence à bien s’occuper de son linge.
Ce jour-là, alors que Marcel s’apprête à passer une chemise, il y manque un bouton de col. Somme toute, presque rien pour Hélène. Elle n’est en aucune façon maniaque; il lui suffit que les vêtements soient propres et bien repassés. Sa distraction est légendaire dans la famille. Pendant son enfance, une des petites phrases assassines pour se moquer d’elle ou tenter de l’éduquer, n’a t- elle pas été : J’y pense et puis j’oublie ! 
De plus, la couture comme pour beaucoup de sa génération, n’est pas son fort. Alors, le petit bouton de col est passé à la trappe ! D’autant que pour elle, il n’est pas important ce bouton, elle ne ferme jamais ses cols jusqu’en haut ! Elle a simplement oublié que Marcel, lui, tient toujours son col de chemise fermé sous sa glotte.
- Bof ! Ce n’est pas grave, donne-moi ta chemise, je vais te le recoudre, ce bouton ! J’en ai pour une minute ! Répond t-elle d’un ton léger qui contraste sérieusement avec l’expression furieuse de son mari.
Marcel ce jour là, ne voit pas la chose de cet oeil, pour lui c’est un crime, un manque de respect et d’attention à son égard, cela mérite punition.
Soudain, Marcel devient tout bizarre, le regard fixe, comme un automate, il prend son cran d’arrêt italien qu’il garde près de lui, dans le tiroir de sa table de nuit, et, ensuite tout va très vite ! La pointe de la lame s’enfonce légèrement dans le milieu de sa gorge, sans pénétrer la chair. Sous cette pression, Hélène recule pas à pas tandis que de même, il avance, mesurant sa pression, tenant ses prunelles toujours aussi fixes jusqu’à ce qu’elle se trouve acculée au bord du lit sur lequel il la contraint à s’asseoir, sous la charge de la lame. Puis, il l’oblige à se pencher de plus en plus en arrière. Bientôt elle se retrouve à demi couchée, soutenue par ses bras tendus à l’arrière de son buste, la poitrine bombée vers l’avant, telle la figure de proue d’un navire.
Durant tout ce jeu de jambes, jusqu’à la pose finale adoptée, mais ô ! Combien inconfortable, Hélène ne le quitte pas du regard une seule seconde.
Aujourd’hui encore, elle ressent la pointe du cran d’arrêt sur son larynx, et se rappelle comment ce jour-là, au lieu de pleurer, de crier ou de lui demander pardon, elle lui parle d’une voix tranquille, conciliante, en le tenant à son tour par les yeux :
- Marcel, tu veux me tuer ? Il ne bouge pas, elle réitère :
- Marcel, tu veux me tuer ? Ben, tue-moi !
Elle dit cela en appuyant bien sur le « tu » du pronom personnel. Il ne répond rien, toujours raide, le regard dans un vide abyssal. Elle répète doucement sans violence, ni brusquerie, intérieurement morte de peur :
- Marcel, si tu veux me tuer, tu le peux … Un silence, puis encore :

- Tue-moi, si c’est vraiment ce que tu veux .
Hélène tient ses prunelles fixes, vrillées dans l’absence qu’offrent celles de son mari : les pupilles de Marcel demeurent deux grands disques tout noir sous ses longs cils et le vert amandine de ses iris a presque disparu.
Tendue par le grand danger, elle cherche désespérément à apporter une étincelle de conscience vivante et active chez cet homme qu’elle aime. Elle le regarde intensément comme pour l’inonder de l’affection qu’elle lui porte et en son for intérieur, elle espère :
~ L’amour, il n’y a que ça de vrai ! Pourvu qu’il m’aime réellement. Pense-t-elle très fort.
~  Sinon, c’est fichu !!!
L’épreuve de force dure d’interminables secondes, puis la tension mue lentement Les pupilles de Marcel sortent de leur fixité, Hélène voit, ses yeux verts revenir à la réalité ; Elle sent de moins en moins la pression de la pointe du couteau sur sa gorge.
Il recule d’un pas, replie son cran d’arrêt puis, sans un mot, ni un regard va le ranger à sa place de façon ostensible tandis qu’une certaine satisfaction s’installe sur son visage. Alors silencieuse, elle s’assied droite sur le lit, en reprenant ses esprits, le regarde se diriger vers la salle de bain ; Elle entend l’eau couler, puis le voit passer pour descendre l’escalier sans rien dire.
Quelques minutes plus tard, la porte de la maison s’ouvre pour se refermer, le bruit familier du moteur de la mobylette s’éloigne. Marcel part travailler, comme si, rien ne s’était passé, comme si, tout était normal, sans un mot de plus : incompréhensible !
Son attitude appelle depuis lors, la question à laquelle aujourd’hui encore, elle n’a aucune réponse tangible.
Car, à l’époque, cette histoire de bouton de chemise et du peu d’intérêt qu’elle porte au ménage ne peuvent pas être les seules causes de ce comportement, c’est seulement le prétexte, l’élément déclencheur, ce bouton, c’est l’arbre qui cache la forêt.
En ce cas, la véritable cause, quelle est-elle ?
Ce jour là, quand elle sort de sa prostration, les larmes coulent en longs fleuves ininterrompus et silencieux sur ses joues. Hélène s’arrache du lit et de sa torpeur, puis se dirige à son tour vers la salle de bain pour se baigner le visage ; Après un regard dans le miroir, elle entre dans la chambre de Virginie.
Le petit ange, les yeux grands ouverts reste bien calme comme à l’accoutumée, dans l’attente de sa tétée.
~ Voilà une délicieuse enfant qui ne pleure pas, qui ne crie jamais. Qu'elle est belle ! Quelle heureuse nature !
Dès qu’elle la voit, la petite sourit ; Ses petits bras s’agitent au-dessus des draps. Hélène la prend contre elle et s’assoit afin de lui donner le sein, oubliant l’horrible moment qu’elle vient de vivre.
La journée se passe sans que rien d’extraordinaire ne survienne, seulement l’amour et l’attention envers sa fille afin de l’éveiller aux couleurs et aux bruits de ses hochets ainsi qu’aux tintinnabules des suspensions au-dessus du berceau de rotin voilé de dentelle blanche. Puis laissant la petite s’endormir, Hélène est assaillie par les détails de la scène vécue avec Marcel, quelques heures auparavant. Elle se surprend à ne pas lui en vouloir autant que cela, mais plutôt, à en chercher la raison, le fameux pourquoi du comment. De plus, elle se dit que désormais, rien ne sera plus pareil avec lui et elle cherche à imaginer comment la soirée va se dérouler après un tel drame, et aussi, comment vont être les jours suivants…?
Que lui est-il arrivé à son bonhomme ?
C’est bien la première fois qu’il agit ainsi. Hélène sait bien qu’elle n’est pas une sainte. Elle n’agit pas en femme soumise, n’est pas la meilleure ménagère qui soit et possède une langue bien pendue. Dès qu’il y a désaccord, elle le fait savoir haut et fort. Néanmoins, il ne l’a jamais atteinte physiquement auparavant. Est-ce son attitude qui l’a amené à agir de la sorte ? Jusqu’alors, en moins de deux ans, entre eux, il y a seulement eu que les heurts en paroles et les attaques de chat et chien en brouille, mais aucun acte de violence physique, rien de grave en somme. Elle ne peut se mentir, cette attitude est le reflet d’une personne qui souffre gravement.
- Voyons ! L’oubli d’un bouton sur un col de chemise ne justifie en rien une telle attitude. Donc, l’erreur est ailleurs. Ce pourrait être la jalousie ?
Il dit toujours qu’il n’est pas jaloux et plutôt adepte de l’union libre. Mais jusqu’à présent, elle lui est fidèle.
~ Si c’est la jalousie qui est à l’origine de ce comportement, ce ne peut être que vis à vis de leur fille née il y a à peine trois mois

*

*           *

Depuis, cette scène horrible retentit en sonnerie régulière. Elle ne peut se voiler la face. Marcel est enfermé dans un sacré problème.

Hélène embrasse les enfants ; A présent ils sont calmés. Après un dernier bisou, elle se retire de leur chambre en laissant la porte entrouverte, tout en continuant à réfléchir sur l’attitude de Marcel :
~ Par exemple ce soir, comme toutes les autres fois, le phénomène est le même !

Quelques petites choses l’irritent, des riens en somme, et tout d’un coup, il semble submergé par une violence toujours de plus en plus grande et délirante. Quelle que soit la conduite, qu’elle, Hélène, puisse adopter, cela ne change rien. De toutes les manières, ça ne va jamais ! Il explose et c’est de pire en pire.

 

Chapitre II

La révélation

 

Laissant les enfants enfin calmés, s’endormir, Hélène retourne dans la grande salle du rez-de-chaussée. Marcel s’y trouve, comme si rien ne s’était passé, dans son fauteuil club en cuir, près de l’âtre, à boire tranquillement son café. Il affiche un contentement certain alors que les débris épars de verres et d’assiettes jonchent toujours le sol devant la porte-fenêtre de la cuisine.

Intérieurement, Hélène se situe dans un état proche de l’implosion mais, l’instinct lui commande un calme apparent ; il vaut mieux se taire. Hélène connaît bien ce petit air de satisfaction que Marcel arbore et par cette moue, elle déchiffre pertinemment qu’il l’invite à jouer. Cela fait déjà bien longtemps qu’elle a compris : le plaisir qu’il exprime, incarne le sceau même d’un début de jeu très dangereux.

Ramasser les débris, laver le sol souillé des restants du repas, desservir la table, découper et plaquer un morceau de plastique sur le carreau cassé pour éviter que le froid n’entre et ne refroidisse toute la maison, toutes ces tâches s’opèrent sous une tempête déferlant par vagues hurlantes sous son crâne. L’émotion contenue est tellement forte qu’elle en a des palpitations dans la poitrine ; À plusieurs reprises, elle se sent prête à défaillir.

~ Comment en est-on arrivé à ce point ?  Quelle est ma faute ? Ne cesse-t-elle de se demander.

Car bien sûr, elle ne peut qu’être fautive !!!

Cette situation n’est pas née d’hier. Quand elle est enceinte de son fils, il est déjà question de divorcer ;

À cette époque-là, elle sait que son mariage ne tient pas la route. Mais voilà !!! Elle n’a pas le courage de réaliser ce que sa mère et bien d’autres femmes ont fait avant elle : Divorcer et se retrouver seule, enceinte d’un petit avec une fillette en bas âge, lui semble impossible à assumer.

Elle voit un médecin, et demande, en pleurant à chaudes larmes, la possibilité d’avorter ; celui-ci, devant l’état de sa patiente, veut en savoir plus. Hélène explique : L’enfant est désiré, mais le couple bat de l’aile. Elle souhaite quitter son mari, car c’est invivable. Il est impensable, pour elle de le quitter avec deux enfants en bas âge dont un, à l’état de nourrisson. Voilà pourquoi elle vient vers lui en prenant cette décision ultime.

Le médecin donne son diagnostic : 

- Dans votre situation, je ne peux prendre la responsabilité de pratiquer l’avortement, je voudrais que vous réfléchissiez à cet acte. 

Il lui donne un autre rendez-vous. Lors de ce deuxième entretien, la date légale est dépassée. Il ne reste à Hélène qu’une seule alternative : Avorter en Espagne ou garder l’enfant. L’Espagne, il faut avoir des moyens financiers qu’elle n’a pas ; C’est ainsi qu’il ne reste plus que l’unique issue : Hélène reste avec Marcel et garde son enfant.

Sa peur d’affronter l’existence dans cette situation de mère célibataire lui fait croire, à l’époque, qu’il est possible de rester mariés jusqu’à la majorité de ses enfants ; Ainsi, ils auront une famille, comme tout le monde. Ils ne seront pas comme ses frères et sœurs et elle-même l’ont été, des enfants de divorcés, pestiférés, enfants différents des autres gamins. C’est cette peur, alliée à la promesse qu’elle s’est faite vers ses quinze ans, qui l’ont amenée à ne pas quitter Marcel. En effet, Hélène s’est fait plusieurs promesses à cet âge là. La première, celle de ne jamais générer auprès de ses enfants ce qu’elle-même avait enduré ; la seconde, c’est de ne surtout pas reproduire sur sa descendance, les schémas de vie de ses ascendants; Pour cela, il faut apprendre à casser le cercle vicieux des réflexes conditionnés et des reproductions du passé. Divorcer, c’est reproduire le schéma de vie de sa mère. Sa peur d’assumer seule ses deux enfants, associée aux serments d’adolescente, a créé son actuelle condition.

~ Erreur irréparable dont les dégâts prennent place jour après jour, dans le quotidien, par ces scènes sordides et cauchemardesques, conclut-elle.

Hélène ne supporte plus de rester dans la même pièce que lui, sans pouvoir lui dire tout ce qu’elle pense de sa conduite ; Tout ce qu’elle a sur le cœur ! Par ailleurs, elle est trop énervée pour aller dormir. Elle décide de laisser son mari à sa douce quiétude, empreinte d’un rien de torpeur, au coin du feu rougeoyant.

Chez Marcel, jamais de remords ! C’est comme si rien ne s’était passé. Tout est normal, même après la pire atrocité.

« Comment peut-il ?  S’interroge t-elle en sortant de la pièce.

Elle enfile une grosse doudoune et sort dans le parc, pour calmer ses nerfs avant d’aller se coucher ; En un mot pour prendre l’air ; Oui ! De l’air, de l’air !!!

Le camélia précoce au fond du parc est en fleurs. Installée sous ses branches, ses corolles blanches et parfumées l’entourent et la rassurent. Quand elle n’en peut plus, elle vient se réfugier sous ses rameaux, assise à même la mousse. L’arbre est plus que centenaire, son tronc chenu et torturé forme une parfaite harmonie avec les tourments qui sont les siens en ce moment. Le fond de l’air en cette mi- janvier est vif, mais qu’importe ! En s’y asseyant, elle se rappelle le rêve qu’elle a fait juste après la scène du caquelon de fonte passant de justesse, à côte du crâne de son fils.

 

*

*         *

Ce jour là, refusant de dormir aux côtés de son époux après cette scène, elle se couche dans le petit lit du salon ; Après bien des tours et retours dans ses draps, elle finit par trouver le sommeil. Un rêve d’une forte intensité l’éveille un peu plus tard. Elle s’y retrouve ici même, sous ce camélia, et regardant sur son côté droit, elle découvre un mur et une porte qu’elle n’avait jamais remarquée jusqu’alors. Etonnée, elle se lève afin de satisfaire sa curiosité.

Elle inspecte cette porte de vieux chêne et toujours aussi surprise de sa présence incongrue, elle tire le loquet de métal vieilli et poli par les ans.

La porte s’entrouvre. Un épais et haut mur de pierres couvertes en partie de lierre se dresse devant elle. Une ruelle pavée le borde ou plutôt une venelle, tant la voie est étroite. Au-delà du mur, elle aperçoit entre les arbres, les hautes tourelles d’un magnifique château, pimpant et lumineux qui se détachent dans l’outremer du soir couchant. La lumière brille déjà à certaines de ses fenêtres, l’air doux et parfumé se répand en fragrances printanières.

A cet instant, elle distingue une seconde porte dans le mur d’en face, porte qu’elle n’a pas vu au premier abord ; Celle-ci s’ouvre vivement de l’intérieur.

Un homme en sort ou plutôt un être, car d’homme, il n’a que la forme physique. Il est suivi de trois autres individus. Ces étranges personnages sont vêtus de justaucorps moulants aux couleurs franches : jaune pur et vert vif, vert et rouge, jaune et violet et violet et rouge. Ils portent aux pieds, des chausses médiévales, sans talons, aux bouts pointus. Ils sont tous quatre très filiformes, d’une espèce androgyne tant on ne peut dire, à priori, s’ils sont mâles ou femelles.

Tous ont la même coiffure, très curieuse. Un couvre-chef, moulant comme un bonnet, enserre leur crâne. Placé bas sur le front, montant bien haut et raide en arrière de la tête, il pourrait s’apparenter à certaines coiffes de l’Egypte antique ; Ce sont des petites mitres argentées, luisant doucement dans la pénombre de la ruelle. Par la brillance, leur matière ressemble à du métal, mais elle donne surtout l’impression d’un toucher soyeux, comme celui d’un tissu satiné. La couleur de ces coiffures est différente pour chacun d’eux, complémentaire à leur costume. Leurs visages, longilignes eux aussi, offrent au regard une peau très lisse et blanche, d’une extrême jeunesse. Aucun trait, ni aucune ride ne se lit sur leur face ; En fait, ils n’ont aucune expression ! A leur nombre et à la couleur des habits que chacun d’eux porte, Hélène, dans son rêve, pense aux quatre éléments : le rouge, le jaune, le vert et le bleu, le feu, la terre, l’eau et l’air. * Leur coiffe leur confère un port de tête altier, en contradiction avec leurs tâches qui, pour l’heure, s’apparentent à celles de n’importe quel manœuvre humain.

Ils s’affairent en silence, nettoient la venelle, la fleurissent, tandis que le quatrième va et vient attentif au moindre détail.

Maintenant, voici qu’il dispose une table que ses compagnons décorent de fleurs. Ensuite, les uns après les autres, ils apportent de petites figurines qu’ils déposent avec soins sur le plateau.

Hélène les observe longuement, dissimulée dans l’ombre des moellons de granit qui composent l’épaisse embrasure de porte dans laquelle elle reste camouflée. Elle retient son souffle, totalement captivée par le manège de ces êtres hors du temps.

* (Voir Oswald Wirth, le tarot des imagiers du moyen âge)

 

Elle n’arrive pas à distinguer dans la pénombre les traits de ces figurines qu’ils s’ingénient à placer, à déplacer et à replacer. Ils restent de longs moments à observer le tableau qu’ils viennent de créer, pour ensuite, le modifier en changeant les personnages de place. Ils n’ont pas remarqué sa présence, tous absorbés qu’ils sont par leur tâche respective.

Ce qui est étonnant, c’est ce sentiment de parfaite connaissance qu’elle ressent et dans le même temps, celui de complète surprise, pour ne pas dire inouïe stupéfaction qu’elle éprouve à les regarder évoluer dans cette venelle obscure.

Le silence est total, l’air léger, leurs pas silencieux, leurs gestes méthodiques, parfaitement orchestrés sans aucun échange de parole.

Tandis qu’elle suit leurs manœuvres, un flot de questions la submerge :

~ Que font-ils ici ? Comment n’a t-elle jamais vu cette propriété depuis près de deux ans qu’elle habite à la Muzardière?

Un fort désir d’entrer en contact avec eux, de pénétrer ce monde, de les aider, de participer à leurs travaux, l’envahit tel un tournis. Quitter son monde pour celui-ci, voilà ce qu’elle veut ! Il lui semble qu’ils font quelque chose de très utile. C’est à ce moment là, qu’un des quatre personnages passe à proximité d’Hélène, une figurine dans ses bras, elle n’y tient plus, s’avance d’un pas, hors de l’embrasure de la porte et l’interpelle doucement :

- Bonjour, Monsieur. 

Surpris, l’être se retourne :

- Je peux rester avec vous ? J’aimerai tant vous aider ? Ajoute t-elle un rien suppliante.

L’androgyne sursaute, ses yeux s’arrondissent. Pour le coup, son visage marque l’effroi et dans un souffle, il répond d’un ton âpre :

- Malheureuse ! Que faites-vous ici ?

- J’aimerai rester avec vous ! 

Ce disant, elle reste pétrifiée à le regarder, effarée de voir ses yeux qui tournent dans tous les sens au sein de leurs orbites et du ton qu’il vient d’employer pour lui répondre, d’autant qu’il continue dans un murmure péremptoire et empressé, d’une fermeté extraordinaire :

- Retournez chez vous ! Allez ! Vite ! Allez-vous-en ! 

Comme elle ne bouge pas, il reprend sur un ton encore plus pressant, presque suppliant et totalement convaincant :

- Pour l’Amour de Vous, Allez-vous-en !!! 

Cette dernière injonction la frappe en plein plexus tant l’énergie qui s’en dégage est forte. Elle se sent happée par l’arrière, ramenée dans son parc et comme elle se retourne pour regarder la porte, afin de la fermer, celle-ci et le mur ont tous les deux disparus.

A cet instant du rêve, elle se réveille en sursaut, très impressionnée par ces êtres qui la connaissent et qu’elle n’a jamais vu auparavant, par ce château et surtout par cette injonction : « Pour l’Amour de Vous, allez-vous-en !!! 

 

*

*            *

 

Hélène ressent encore cette émotion grandiose éprouvée par l’ordre assené et son intonation de supplique. Dans le même temps, elle n'a pas compris la raison et la forme de cette injonction, ni ce que faisaient ces personnages.

Elle tourne la tête vers la droite. Que nenni, ni mur, ni porte, ni château ! Seulement la frondaison habituelle des arbres et arbustes bordant le pré derrière le parc.

Un long soliloque intérieur s’installe dans lequel elle s’enferme avec détermination.

~C’est prodigieux. Ce rêve ressemble à un pan de vie, complètement réel. C’est très impressionnant comme il me reste clair, net et limpide comme une situation de tous les jours, comme un moment vécu en pleine conscience. Qui sont ces hommes ? Qu’a voulu me dire l’être avec lequel j’ai parlé ?

Elle se prend la tête entre les mains, les coudes en appui sur ses genoux remontés.

~S’il avait dit : Pour l’Amour de Nous, allez-vous-en !  J’aurai compris qu’en les ayant surpris, je mettais leur existence en danger. Cela peut s’expliquer, s’ils sont, par exemple, d’un autre monde, peut-être un univers parallèle au nôtre dans lequel je ne suis pas autorisée à pénétrer. Il aurait pu dire aussi :   Pour l’Amour de Dieu, allez-vous-en !!!  Dans le sens de : Vous n’êtes pas à votre place ! Simple profane, vous n’avez pas le droit d’être là et de voir l’ineffable !

~ Or il a expressément dit : Pour l’Amour de Vous, allez-vous-en ! 

~ Il a prononcé cela, en appuyant sur le VOUS, avec tant d’amour et de déférence, que sur l’instant, j’ai ressenti fortement plus qu’une inclinaison, un véritable attachement à ma personne, et surtout du respect, qu’il n’aurait eu en aucun cas, s’il ne me connaissait ni d’Eve, ni d’Adam ; Qu’il n’aurait pas eu pour une simple intruse. Quant au second vous, dans allez-vous en, c’est l’anxiété, bien plus une peur terrible que j’ai ressentie. Son attitude pourrait alors signifier qu’il sait très bien qui je suis, qu’il m’honore et qu’avec ses compagnons, ils préparent quelque chose en rapport avec moi, avec ma vie, pour mon avenir. Sa peur viendrait-elle du fait que surprendre cette préparation risquerait d’anéantir tous leurs efforts ?

Bientôt la part rationnelle de son mental se fait entendre, il gronde :

~Non, ces explications sont fausses, puisqu’un rêve n’évoque seulement que le rêveur et lui seul, personne d’autre ! 

Il est vrai que les études d’onirisme qu’elle a suivi jusqu’ici, lui ont apprises que les personnages d’un rêve ne sont en réalité que l’évocation du rêveur dans les différentes composantes de sa personnalité. Rêver d’un homme c’est évoquer sa propre partie masculine, d’une femme, sa part de féminité, d’un chien, de son couple, d’un bébé, de son propre renouveau ou d’une partie de soi émergente ou à venir, d’un enfant, de sa part de fraîcheur et d’innocence, d’un homme noir, de son ombre, etc., etc.…

~ Donc, les quatre personnages sont à coup sûr la représentation de mon être intérieur dans ses différentes composantes d’où la fameuse pensée des quatre éléments dans mon rêve. Mais où est le cinquième ? Il y a toujours cinq éléments. Il est vrai que le cinquième élément est appelé Ether habituellement. L’Ether n’est pas l’air. C’est la partie subtile qui sous-tend l’existant, qui permet la concrétisation. C’est bizarre qu’il ne soit pas personnalisé.

Soudain, elle réalise :

~La cinquième personne dans le rêve, c’est moi ! Ce serait donc moi l’Ether. Les êtres seraient donc des Ethers ! Tiens, il va falloir que je creuse cette hypothèse.

Le silence se fait lourd, autant dans le parc qu’en son cerveau, un ange passe, Hélène reprend sa réflexion :

~ Je suis venue, au travers du songe, surprendre ces préparatifs. Ceci expliquerait l’attitude de l’être à qui j’ai parlé. Il m’a reconnu ; Le ton de panique et d’effroi, qu’il a utilisé quand je me suis adressé à lui, serait dû au fait que j’étais en train de découvert le futur qu’il est en train de m’élaborer avec ses compagnons et ma propre essence. Tout mon être est en train d’œuvrer pour mon avenir, c’est sûr ! C’est comme si je voyais une chose qui devait absolument me demeurer cachée, le temps que cela se concrétise. Quand cet être me dit précipitamment et comme un ordre : - Pour l’Amour de Vous, allez-vous-en ! - Il me fait comprendre à quel point il est dangereux de surprendre ce pan de création en préparation ! 

Hélène déchiffre ainsi son rêve qui lui donne à discerner que l’avenir va changer, qu’ils sont possibles ces lendemains qu’elle appelle de tout son être, pour échapper au cauchemar qu’elle vit au côté de Marcel.

Au sortir de sa réflexion, il lui paraît évident, presque lumineux, que ce songe lui a parlé de son devenir pour lui donner du courage, celui qui va lui permettre de tenir bon et de mettre fin à sa situation actuelle. 

En tout cas, soupire t-elle, ce songe est clair et bien plus heureux que l’attitude de mon bonhomme, qui elle, pour le coup, me reste toujours incompréhensible. C’est vivre l’enfer.  De plus, son comportement, contrairement à ce rêve, n’est malheureusement plus une découverte !

Un bruit de porte se fait entendre sur le devant de la maison. Elle ne bouge pas, se ratatine sous son camélia, dissimulée dans la pénombre qu’offre le quartier de lune caché par la venue propice d’un petit nuage.

 

*

*             *

Au bruit de la porte refermée, elle reprend le fil de leur histoire. Depuis l’automne dernier, sa décision est prise. Elle n’a plus rien à expliquer et plus rien à pardonner. Marcel est conscient, cela ne fait pas de doute, alors il n’a plus d’excuse possible.

C’est en octobre dernier, se rappelle t-elle, qu’il dépasse les bornes. Mais, avant cette étape, quel parcours du combattant ! Le printemps a été difficile tant sur le plan matériel que sur le plan affectif.

Un après-midi d’avril de l’an passé, les enfants risquent d’être tués au même titre que le chien de la voisine, par son seul aveuglement né de cette fureur incontrôlable qui le possède parfois :

Ils viennent d’emménager à la Muzardière depuis quelques mois. L’ancienne gardienne du manoir s’aventure avec son gros chien-loup, Pataud, devant la maison. Elle habite une petite ferme à quelque cent mètres de là.

Arrivée sur le terre-plein, devant la porte d’entrée, elle s’arrête devant Hélène :

-  Bonjour, madame. Je passe pour aller chercher le restant de mes légumes au potager. Fait-elle avec son fort accent breton ; C’est toujours possible ? Ca ne vous dérange pas ?

- Bonjour, madame Michon ! Bien sûr que non, vous ne nous dérangez pas et pour le potager, c’est toujours faisable, d’autant que nous n’avons pas eu le temps de nous y attaquer. Il est encore dans l’état où vous l’avez laissé en partant 

- Bien alors, j’y vais, répond la brave dame.

Au moment où elle se met en route avec son Pataud, notre petit Gribouille, un roquet de la pire espèce, longue saucisse blanche aux taches marron clair, montée sur quatre pilotis tortueux, s’en prend au molosse en aboyant méchamment sous son nez. Madame Michon tient son chien en laisse écourtée. Le grand costaud grogne à son tour, mais le freluquet ne s’en laisse pas compter. Carrément, il tente de le mordre au museau. L’autre le dépassant de deux garrots, l’attrape en un instant par le cou entre ses solides mâchoires.

Maintenant, le minus gueule ! Mais gueule à qui veut l’entendre. Il ne fait plus le malin ! Quant au gros, tout en grondant férocement, il ne lâche pas sa prise.

Madame Michon essaye bien de calmer son chien et, pour sa part, Hélène cherche à défaire sa mâchoire. Malheureusement rien n’y fait.

Voici les enfants qui, entendant les hurlements des chiens, les injonctions des maîtresses, arrivent et se plantent juste à côté du pugilat, aux premières loges du spectacle.

De son côté, Marcel, lui aussi, avance à grands pas vers le petit rassemblement en beuglant :

- Qu’est ce qui se passe ici ?

- Ce sont les chiens, ils se battent. Je n’arrive pas à les séparer.

Joignant le geste à la parole, Hélène réessaye de sortir la peau du cou de son chien de la gueule du Pataud.

~ Pas si pataud que ça, la sale bête !!!  Pense Hélène en s’activant. .

- Aie, il m’a mordu ! S’écrit-elle.

En effet, le sang rougit sa main, alors même que le Pataud n’a pas laissé le temps au petit de prendre la poudre d’escampette. Il l’a immédiatement re-choppé et bien, même ! Cette fois, c’est sûr, s’en est fini du bien-aimé petit toutou !! Pataud le secoue dans tous les sens, sa maîtresse ayant le plus grand mal à le contenir par la laisse.

C’est alors que Marcel se précipite à l’intérieur de la maison.

Suivant son instinct, Hélène plante là les deux chiens, les deux gosses, la Mère Michon, pour courir derrière son bonhomme ; Elle monte quatre à quatre les marches de l’escalier, passe l’antichambre et se rue vers la fenêtre que Marcel vient d’ouvrir. Il a décroché son fusil du râtelier et s’apprête à le pointer chargé, sur le petit groupe réuni en dessous !

~Il va les tuer !!! Fuse un trait de clairvoyance dans l’esprit d’Hélène.

- Arrête, Marcel, hurle t-elle. Tu es fou !! Il y a les enfants, juste en dessous ! 

De sa part, plus aucune réflexion, ni aucun calcul ! Déchaînée, elle se jette sur lui, le prend, en arrière, par les épaules alors qu’il s’apprête à viser ; Elle le déséquilibre et avec toute la force de son poids, de ses jambes et de ses bras musclés, elle le fait pivoter. Lorsqu’il est presque de face, elle saisit à deux mains l’arme chargée, l’une sur la crosse, l’autre sur le canon et la secoue de toutes ses forces sans ménagements jusqu’à ce que Marcel lâche prise.

Ce n’est pas un athlète, le Marcel, seulement un nerveux et heureusement pour elle, plutôt un fluet.

Ainsi dégagé, ne se rue-t-il pas vers le râtelier où sont exposés les différentes épées, fleurets et baïonnettes qu’il aime à collectionner !

Il décroche en courant une de ses baïonnettes de 14-18, et alors qu’Hélène est déjà sur ses talons, il passe l’antichambre, dévale l’escalier tout en sortant la lame de sa gaine pour disparaître dans la lumière au-dehors.

Hélène à sa suite, arrive, haletante, le croche par derrière, le tire pour l’empêcher de continuer à donner de la lame dans le ventre du Pataud qui maintenant s’affaisse au sol.

Madame Michon, la main devant la bouche en forme de corolle, n’arrête pas de psalmodier :

- Oh ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu !!! Oh ! Mon Pataud ! Oh Mon Dieu ! Mon Dieu !! 

Ne voilà t-il pas que Marcel, dans sa rage, s’en prend aussi à elle.

- Vous allez vous taire vieille sorcière, sinon je vous étripe ! 

Les enfants hurlent, secoués de tremblements, s’agrippant l’un à l’autre, tandis que leur mère ceinture comme elle le peut leur énergumène de père, mettant hors d’atteinte de sa fureur, la mère Michon.

~Le calmer, pense t-elle. Tout en le maintenant fermement, elle gueule :

- C’est fini ! Gribouille n’est pas mort ! Calme-toi, Marcel, calme-toi !! 

La petite saucisse se remet de ses émotions.

Les enfants toujours en pleurs, ne sont plus en cris. Ils commencent eux aussi à se calmer et entourent leur chien qu’ils se mettent à caresser.

- Du sang ! Maman ! Il a du sang partout sur son cou ! Crie Virginie.

En effet, le rouge pourpre se détache durement sur le poil blanc du Gribouille, augmenté par cette forte lumière de mars.

Madame Michon sanglote en tapotant son vieux chien, qui, doucement se relève ; Il est évident qu’il souffre ; En plusieurs endroits de son pelage suintent des filets de sang.

- J’appelle un vétérinaire !! Hélène part en courant vers la maison, revient pareillement quelques minutes après :

- Il n’est pas disponible tout de suite, il passera dès qu’il aura fini sa visite.

Déjà, madame Michon est sur le chemin pour rejoindre sa bicoque, tirant son chien affaibli, chassé par Marcel qui la suit en l’invectivant :

- ….Que la prochaine fois, vous ne viendrez pas devant la maison avec votre chien. Vous n’avez qu’à passer par derrière. Non, mais, merde alors ! 

Et d’ajouter comme pour justifier son acte :

- On est chez nous ! Notre chien, il a le droit de vivre lui aussi !

Hélène sait qu’il n’y a rien à dire, rien à ajouter ou à discuter. Voila un homme persuadé d’être dans son bon droit. Pour lui, sa colère est légitime et il trouvera toujours les arguments nécessaires à sa justification.

Elle n’espère qu’une seule chose : qu’il va se calmer.

Elle espère aussi que le chien Pataud va réussir à vivre car c’est la seule compagnie de cette brave femme.

Elle espère aussi, se tournant vers les enfants qui caressent le petit bâtard que le traumatisme qu’ils viennent de subir ne sera pas trop important pour eux. Elle espère aussi que Marcel n’agira plus ainsi.

En dehors du fait d’espérer, que peut-elle faire ?

Cet homme est certainement fou et ce qui vient de se passer aujourd’hui le prouve une fois de plus. Elle mesure à quel point, elle n’est pas capable de l’empêcher à commettre le pire.

 

*

*                   *

La ou les causes de tout cela ?

C’est peut être le suicide de sa sœur, l’alcoolisme de son père ; Celui-ci est mort, cinq ans auparavant, en pleine crise de delirium tremens.

Il faut dire aussi que travailler toute sa vie en fond de cale de bateaux à l’arsenal ne peut être une sinécure. Son père commence l’apprentissage à quatorze ans, à soixante, il est en retraite. Pour supporter la dureté de son existence, il s’est toujours imbibé de gros rouge, seul palliatif, à la portée de sa bourse.

Elle se rappelle comment, lors de son arrivée dans la banlieue de Brest en 1972, elle s’étonne de voir autant de pauvres vieux au nez rouge, couvert de pustules telles de grosses fraises difformes. Un matin, ayant rendez-vous de bonne heure dans les environs de l’arsenal, elle éprouve un sacré choc. En allant boire un café dans un bar, face à la porte principale de cette entreprise d’état, elle découvre sur le zinc, un alignement, incalculable, de petits verres à calva, de ces tous petits godets à pied à peine plus grand que des dés à coudre, évasés, bordés sur leur col d’une ligne dorée ; Ils possèdent un tel cul qu’ils pèsent un poids insoupçonné à première vue, compte tenue de la petitesse de leur taille. Tous ces verres sont servis, en attente du client qui ne tarde pas. Seuls ou en petits groupes de deux ou trois, les ouvriers passent devant le comptoir, déposent la monnaie, et d’un coup sec, avalent un, puis deux, quelques fois trois de ces petits poisons au liquide d’or blanchâtre. A ce régime, il n’est pas étonnant que Marcel ait des problèmes. Son père pendant quarante, voire quarante cinq ans a bu tous les matins à jeun, sur le coup de sept heures, cet alcool de bas étage ; Ensuite, il s’est renquillé tous les jours, quelque deux à trois litres de vinasse, de celle que l’on sert à cette époque aux Bretons : Alors comment penser que sa semence ait pu être encore saine et valide ?

Les deux ou trois litres de vin par jour ne sont ni une invention, ni un rêve. Toutes personnes, ayant approchées les abords de l’arsenal et les employés qui y travaillent, connaissent ces litres de vin, cinq étoiles, planqués avec les casse-croûtes, dans les deux sacoches, situées de part et d’autre du solex ou de la mobylette ; bien que cela soit interdit, ces litrons entrent, de façon illicite, chaque matin, dans l’enceinte de l’établissement.

Après la journée de travail, l’ouvrier a besoin de se détendre : Alors il va au café où il retrouve ses collègues ; Là, il recommence de manière automatique à vider les fillettes, petites bouteilles transparentes d’un quart de litre ou la chopine, d’un demi-litre, tout en devisant de ce qui s’est passé sur les chantiers.

Il faut savoir ce qu’il y a dans ces bouteilles !!!

Certainement pas du bon vin de pays. Certes non ! La Bretagne n’a aucune production viticole sur ses terres, depuis le dix huitième siècle, hormis les seules restant autorisées, celles situées en dessous de la Loire. C ette interdiction de planter les terres en vignes en Bretagne est promulguée par ordre du roi en 1701.

La raison en est que les Bretons, voyant que le vin et les eaux de vie rapportent davantage que la culture de céréales, se sont mis à planter de la vigne à tout va au détriment du blé et des cultures de grains. Cet engouement a pour effets deux conséquences fondamentalement négatives sur l’économie bretonne : La première, la rareté du blé et de l’orge entraîne la famine parmi les plus pauvres; La seconde atteint les subsides même du Royaume de France : Les vins de l’Anjou, province viticole depuis toujours et largement imposée pour ses revenus sur sa production, ne peuvent plus exporter par voie de mer au port de Nantes, les vins de Bretagne étant devenus prioritaires. Ce manque a gagner génère une grosse perte financière pour les caisses de l’état ; Ceci amène tout naturellement le roi à promulguer cet édit d’interdiction.

Hélène a eu le loisir d’assister à une conférence tenue par un œnologue respecté. Celui-ci a expliqué ce jour-là, pourquoi les vins en Bretagne sont de mauvaise qualité et cela, surtout depuis la fin de la première guerre mondiale. Il dit non sans humour :

Les vins vendus en Bretagne viennent d’ailleurs et un petit tour rapide du côté des vignerons languedociens nous en apprend long sur le sujet. Le vin du Languedoc, faute d’être de bonne qualité à l’époque, est transformé, le plus souvent, en eaux-de-vie. Dans la région, il est bu en vin de table, cela s’appelait la piquette. Il ne peut malheureusement pas s’exporter aux vues de sa qualité et des droits portuaires prohibitifs. Ces viticulteurs, regroupés en syndicat des vignerons du Midi, ont la bonne idée en 1914, sous le couvert d’un geste de patriotisme généreux envers nos poilus, d’offrir deux cent mille hectolitres de vin à l’armée française, un quart de vin par homme et par paquetage. Le moral des troupes, se portant mieux avec cet élixir bon marché, la ration passe, bientôt, à un demi-litre par homme. Ce sont des milliers d’hectolitres de leur vin que l’armée de terre française achète aux vignerons du Languedoc. Le chiffre en 1917 est édifiant : la dernière commande passée est de douze millions d’hectolitres.

Après la guerre, il faut trouver un nouveau débouché ; Nos amis de Bretagne, n’ayant aucun vin, sur leur propre terre, il est facile de leur vanter les mérites de cette dive boisson, d’autant qu’un bon nombre d’entre eux, soldats, s’en sont régalés dans les tranchées glaciales et humides. 

Quelle autre région de France aurait-elle mieux rapporté à ces viticulteurs que la Bretagne ? La Normandie aussi, peut-être ? Là où il n’y a que le cidre, boisson ne rivalisant pas avec le vin, dont les soldats ont été abreuvés à volonté pendant les quatre années de guerre et auquel ils se sont donc accoutumés ! Pour être commercialisé, ce breuvage languedocien a l'obligation d'être coupé avec des vins d’Afrique du Nord ou d’Italie, plus charnus et tannisés, puis d’être stabilisé par l’action d’ingrédients chimiques, tant sa teneur en alcool est faible et son goût pitoyable. »

Bien que le discours de cet œnologue s’arrête sur cette conclusion, Hélène a sa petite idée sur la question. Nulle part ailleurs en France, depuis son enfance, elle n’a vu de trognes aussi surréalistes que celles qu’elle découvre, à son arrivée en Bretagne, dix ans plus tôt. A l’écoute de cette conférence, Hélène met en adéquation, la qualité du vin vendu aux Bretons, les ravages causés par son usage quotidien et la position de numéro un de cette population dans le palmarès de l’alcoolisme en France.

Dans les cités usinières du Sud-Ouest, du Midi ou du Sud-est, la coutume du Lever de coude à répétition est tout aussi régulière, mais elle ne donne pas le même héritage physique. Ces vieux Bretons offrent pour beaucoup, des faciès monstrueux, tout droit sortis de récits à la Tolkien, avec leur nez transformé en groin difforme, écarlate et souvent énorme, en forme de fraises. * A leur passage, ils laissent flotter autour d’eux, une odeur forte et caractéristique : Celle du mauvais vin et de l’empoisonnement qui découle de son absorption systématique. A la différence de la Bretagne, beaucoup d’autres régions de France produisent leur propre vin. S’ils ne sont pas toujours excellents, ils ont au moins le mérite, de n’être pas frelatés.

*  Il s’agit là de bretons âgés de soixante cinq ans et plus, en 1970. Aujourd’hui, ces figures n’existent quasiment plus. Heureusement, il y a eu depuis lors bien des améliorations sur la qualité des vins en général et surtout, sur ceux fournis en Bretagne. La preuve en est les rayons de supermarchés : Ils n’ont plus qu’un à deux mètres linéaires de ces affreux picrates contre 10 mètres en vin AOC, situation totalement inverse dans les années 70.

Aller donc savoir ce qu’il y a dans une Cuisse de nymphe émue, un Parfum des îles, une Grappe fleurie ou un  « Derrière les fagots », qui tous, couvrent les rayonnages des supérettes bretonnes.

Pire encore ! Beaucoup de ces mauvais vins avaient un nom à connotation religieuse.

Que le contenu de ces bouteilles soit du poison véritable est un fait, mais que les vendeurs utilisent des noms évocateurs de la gent ecclésiaste pour des saletés tel que Père Benoît ou Père Grégoire est un scandale. Une hypocrisie sans nom !

Les Bretons, c’est bien connu, sont très religieux ; Se servir de l’image de l’église à laquelle ils sont attachés pour les empoissonner, relève véritablement du comble de la malhonnêteté et de la moquerie.

De ces vins, c’est sûr, il vaut mieux ne pas en boire !

Il est seriné par les médias, tous les ans que les plus grands alcooliques en France sont les Bretons ;

Cette vérité est assenée aux vues des statistiques hospitalières. Compte tenu du vitriol qu’il leur est servi depuis tant de décennies, il est normal qu’ils meurent tous à l’hôpital, acculés par les maladies que l’efficace et lucratif poison a développé.

Souvent, Hélène pense qu’il faudra un jour rendre justice aux Bretons et reconnaître cette situation comme fait avéré.

En attendant, elle fait toujours attention au choix du vin. La qualité, sans excès, ne peut détruire, elle restaure. Le corps est conçu pour fonctionner parfaitement, seul le poison, qu’il soit physique, psychique ou mental, favorise sa ruine.

Elle a inculqué cela à Marcel, très rapidement après leur rencontre. Souvent, elle le flaire. Il ne sent pas cette odeur insupportable que son père, de son vivant, répandait autour de lui.

Quant à sa mère, certes il n’y a rien à lui reprocher, jamais une goutte d’alcool, une vie des plus saines, mais combien malheureuse avec ce bougre de mari qui n’a eu de cesse depuis la guerre, en plus de rentrer ivre tous les soirs, de la tromper avec sa propre sœur et sous son nez, ouvertement qui plus est !

Comment imaginer qu’elle a pu correctement éduquer ce gamin ? Il n’en a fait qu’à sa tête, surtout après que sa sœur aînée se soit suicidée en se jetant par la fenêtre de la cuisine. Comment un homme peut-il sortir indemne de tout cela ? Très difficile !

Il ne peut qu’être marqué et seul un travail sur lui-même, une action assidue, un élargissement de ses connaissances, une étude approfondie de ses problèmes avec les personnes compétentes dans ce domaine pourraient éventuellement l’en sortir.

Tout cela est tabou. Ce sont des sujets que Marcel ne veut aborder en aucune manière. Il se considère tout à fait normal et équilibré. D’après lui, c’est Hélène, qui ne va pas. Ceci constitue un postulat qui ne peut en aucun cas être remis en cause.

Pourtant, souvent Hélène y réfléchit. Elle vit en France, pays de la liberté et du respect. Pays où les hommes et les femmes ont reçu une éducation et les connaissances qui permettent de vivre en se respectant et en respectant autrui. La considération de l’autre implique de ne pas perpétrer les atrocités qui ont pu se dérouler un siècle auparavant dans les campagnes : viols, meurtres, violences sur les enfants et sur les femmes. La prise de conscience est réelle dans l’opinion publique, les émissions de toutes sortes le prouvent. Il y a des numéros de téléphone gratuit mis en place pour le viol avec la création de SOS Femmes, pour l’inceste, pour la violence conjugale, avec l’ouverture du refuge Flora Tristan ainsi que des centres pour les enfants battus. Ce n’est sûrement pas encore la panacée ! Il reste encore beaucoup à faire. C'est sûr ! Mais la France se bonifie dans ces domaines et les mentalités changent.

Hélène a toujours pensé que l’humanité dans sa marche en avant va bien moins vite que les escargots. La lente progression qu’elle observe, aux vues de sa nature optimiste, lui prouve que la transformation des mentalités pour un meilleur avenir est bien en route. Seule, sa propre situation l’inquiète bigrement !

Car, autant elle constate que les choses évoluent pour la majorité des français, autant dans sa propre vie, il en va tout à l’inverse.

Dans son existence, la violence et le non-respect de soi et des autres existent bel et bien au quotidien et la difficulté à vivre s’amplifie de semaine en semaine. Elle n’existe que dans l’angoisse et la peur de l’atteinte physique. Si elle subit ces avilissements sur sa personne, les enfants les vivent aussi !

Hélène a souvent l’impression que sa vie est décalée en regard, de ce qui se passe communément chez les autres français, et aussi en regard de son éducation et du milieu familial dont elle est issue.

 

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Hélène se lève de son tapis de mousse, prenant bien soin de resserrer la fermeture de sa grosse veste. Le quartier de lune maintenant resplendit dans le ciel. Tout est calme, aussi se hasarde t-elle à remonter l’allée qui mène aux prairies derrière la Muzardière, tout en pensant :

~ C’est vrai ! Nous allons vers le vingt et unième, ce n’est résolument plus le dix neuvième !!! 

Hélène mesure combien ce qu’elle vit avec son mari est hors norme. Combien il serait temps que Marcel se soigne !

Plusieurs fois, elle a voulu l’aider en ce sens. En septembre dernier, elle lui a conseillé d’aller consulter un médecin. Bien sûr ! Il repousse sa suggestion :

-  Qui a besoin de voir un médecin ? Qui est le malade ? C’est l’hôpital qui se fout de la charité !!!  Rétorque t-il en rigolant. Puis, l’œil mauvais, il ajoute :

- Il faudrait quand même que tu arrêtes de te foutre de ma gueule ! 

Devant tant de mauvaise foi, de refus de l’évidence, d’inconscience, Hélène ne peut que se taire. Surtout ne pas répondre, cela pourrait dégénérer.

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Quelques critiques
Le roman « Chrysalide ou l’envol d’une fleur Bleue » C’est tout sauf triste !
Les méchants ont du charme, les bons savent être odieux ou lamentables, Le drame quelque fois y atteint le paroxysme, et alors qu’on tremble, le narrateur nous plonge au détour de la page suivante dans le drolatique ou l’énorme.
La première partie est dure et réaliste, la seconde nous entraîne dans l’opposé; Le rythme y est rapide. Bref c’est un roman où l’on ne s’ennuie pas, et où l’Humour et l’Amour font bon ménage afin de venir à bout d'une situation détestable.

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Qu'est ce qu'une fleur bleue?